Julian Perez, vice-président de la gestion du risque et de la conformité chez dentalcorp
A l’heure actuelle, les dentistes sont confrontés à une « nouvelle réalité » : l’ère post-COVID-19 à laquelle ils ont dû s’adapter au courant des derniers mois. Toutefois, le changement n’est jamais facile, et il a certainement un prix.
Les êtres humains sont des êtres d’habitude, et pour ceux qui pratiquent leur métier depuis des décennies, s’adapter à une nouvelle réalité est plus facile à dire qu’à faire. Pour ceux qui sont ouverts au changement, le coût y étant associé demeure un obstacle de taille.
Bien qu’ils aient traversé le pire (du moins, on l’espère) de cette pandémie, les dentistes ne doivent pas oublier les leçons importantes qu’ils ont apprises ni baisser la garde. S’ils ont été assez chanceux jusqu’ici pour pratiquer la dentisterie durant quelques mois sans avoir été touchés par l’apparition de grappes de cas de la COVID-19, la tentation d’assouplir certaines mesures de protection s’intensifiera éventuellement. Les dentistes doivent plus que jamais se méfier de deux tendances courantes pouvant influencer à tort leurs décisions : l’optimisme et l’amnésie. L’optimisme est cette tendance à sous-estimer le risque que surviennent des pertes et l’amnésie est la tendance à oublier trop rapidement les catastrophes du passé (1). Dans certaines circonstances, ces deux caractéristiques peuvent être appréciables. Néanmoins, lorsque l’on fait face à un événement à haut risque et à faible probabilité comme une pandémie, ces propensions peuvent amener les dentistes à prendre des décisions ayant des conséquences désastreuses.
Nous sommes au beau milieu de cette pandémie et déjà, un chœur de voix appelant au retour aux anciennes habitudes se fait entendre. Pourtant, il n’y a pas si longtemps, la dentisterie était considérée comme la profession la plus à risque. Voici quelques-uns des propos exprimés dans les salons de clavardage dentaire et sur les réseaux sociaux qui pourraient poser problème.
Frustrations en lien avec le port de l’équipement de protection individuelle (EPI)
- C’est trop difficile de traiter des patients en portant un EPI.
- L’EPI est inconfortable et respirer est difficile.
- Il n’y a pas assez d’EPI pour tout le monde et c’est beaucoup trop cher.
- Porter une visière de protection n’est que « fortement recommandé »; ce n’est pas une exigence.
- C’est trop long de changer d’EPI. Je vais réutiliser ma blouse au lieu de me changer entre les procédures dentaires générant des aérosols.
- Jeter de l’EPI semble être du gaspillage et n’est pas très écologique.
- Les formulaires de contrôle quotidien destinés aux employés sont malaisants et ils ne sont que des rappels constants de la COVID-19.
- Mon équipe est déjà assez stressée. Je crois que ces formulaires sont de trop.
- Désinfecter les lieux sans arrêt prend trop de temps; je peux laisser faire pour aujourd’hui.
- Nous sommes en retard sur notre horaire et partir pour le dîner prend beaucoup de temps; toute notre équipe peut simplement se réunir dans la salle du personnel et manger ensemble. Nous devons passer du temps ensemble de toute façon.
- Une famille de cinq personnes est arrivée trente minutes à l’avance, je devrais leur demander d’attendre dehors, mais est-ce que c’est mal si je leur permets de patienter dans la salle d’attente? De toute façon, ils vivent ensemble sous le même toit.
- La télédentisterie est trop limitée. Je veux voir tous mes patients en personne.
- Placer une digue demande beaucoup de temps et je n’y suis pas habitué.
- Il est difficile de se procurer du peroxyde d’hydrogène. Je vais utiliser un rince-bouche standard à la place.
- J’étais censé prendre des radiographies extraorales lorsque je le pouvais, mais l’appareil de radiologie intraorale est beaucoup plus pratique.
- Il y a des moyens de limiter les procédures dentaires générant des aérosols, mais mon poignet est endolori. Je vais simplement détartrer comme je l’ai toujours fait.
Certes, ces propos sont compréhensibles; ils peuvent toutefois conduire à une dérive dangereuse dans le contexte de la crise actuelle. Ne pas tenir compte des mesures de sécurité sachant qu’elles ont été efficaces pour prévenir la propagation de la COVID-19 dans les cliniques dentaires se compare à jeter votre parapluie pendant une pluie diluvienne parce que vous ne vous êtes pas fait mouiller. Que l’on ne s’y trompe pas, la pandémie de COVID-19 est encore bien présente et n’attend qu’une occasion propice pour resurgir.
En dépit des signes encourageants qui résultent des efforts collectifs de la dentisterie pour aplanir la courbe, les dentistes doivent continuer de veiller à la sécurité de tous et démontrer que les gens de la profession savent comment prévenir et maîtriser la propagation des infections. La profession est soumise à une surveillance et personne ne peut se permettre de relâcher ses efforts. Il est vrai que les dentistes traitent depuis longtemps des patients atteints de maladies infectieuses; mais revenir à nos « anciennes habitudes » n’est pas une option. Les dentistes doivent continuer de se dépasser jusqu’à ce que cette pandémie soit enrayée. Bien que les dentistes doivent se réjouir du redressement du marché jusqu’à présent, il est encore prématuré de célébrer tout succès. Il faut plutôt que les équipes dentaires fassent preuve de discipline, de détermination et de persévérance.
Ce qui arrive aujourd’hui, demain ou la semaine prochaine déterminera la façon dont les gouvernements et les organismes de réglementation percevront la dentisterie comme une activité sécuritaire ou dangereuse. Si les dentistes réussissent à tenir la COVID-19 à l’écart des cliniques dentaires, les autorités sanitaires seront plus clémentes à leur égard lorsqu’une deuxième vague apparaîtra. Elles permettront sans doute que les cliniques demeurent ouvertes, même si d’autres secteurs de l’économie doivent fermer de nouveau.
Le pire est peut-être derrière nous, mais la COVID-19 est loin d’être disparue pour de bon. Il n’a jamais été aussi important pour la profession dentaire que de se conformer aux procédures et protocoles de prévention et de contrôle des infections. Les dentistes ont la responsabilité de demeurer vigilants dans le contexte de reprise des activités.
RÉFÉRENCES
1. Meyer R, Kunreuther H. The ostrich paradox: Why we underprepare for disasters. Philadelphie : Wharton Digital Press, 2017
À propos de l’auteur
Julian Perez est vice-président de la gestion du risque et de la conformité chez dentalcorp. Il est également responsable de l’élaboration, de la mise en œuvre et de la supervision des normes, des programmes et des systèmes de l’entreprise qui visent à promouvoir la prestation de soins optimaux aux patients. Julian possède une solide expérience juridique, car il a travaillé pour un cabinet d’avocats de Wall Street à Manhattan et un programme de responsabilité professionnelle, assurant la défense de plus de 10 000 dentistes accusés de fautes professionnelles. Julian est titulaire d’un baccalauréat de l’Université Yale et d’un doctorat en jurisprudence de la faculté de droit de l’Université Columbia.