Julian Perez, J.D., chef des affaires juridiques, dentalcorp
Les cliniques dentaires sont des environnements dynamiques et complexes dont les membres doivent respecter des normes rigoureuses en matière de prévention et de contrôle des infections (PCI) ainsi que d’autres procédures conçues pour promouvoir la sécurité et prévenir les incidents. Malgré la myriade de règles et de mesures de contrôle en place, les accidents sont inévitables. Pourquoi donc se produisent-ils?
Pour connaître la réponse à cette question, vous devez vous mettre à la place d’une autre personne. Imaginez que vous êtes gestionnaire régional(e) ou dentiste principal(e) à la Clinique dentaire ABC en lisant le scénario suivant, et réfléchissez à la façon dont vous réagiriez à la situation présentée.
Les membres de la Clinique dentaire ABC sont très occupés en ce jeudi soir. Les patients vont et viennent, les téléphones sonnent, les membres d’équipe passent d’une zone de soins cliniques à une autre, les livraisons arrivent, les instruments sont retraités et les salles d’examen sont utilisées, désinfectées, puis préparées pour de nouveaux patients. Au cœur de l’action, Mina, une hygiéniste dentaire très talentueuse qui est responsable de superviser la zone de stérilisation, commence à penser distraitement à sa longue fin de semaine imminente. Elle veut terminer toutes ses tâches afin que ses courtes vacances commencent officiellement. À la fin de la journée, Mina effectue le dernier chargement d’un stérilisateur en utilisant des cassettes et des sachets préparés avec soin. La journée bien remplie tire à sa fin, et Mina est fière d’elle. Elle s’apprête à lancer le cycle du stérilisateur quand on lui demande de l’aide. Mina se rend à la salle d’examen no 6. Son amie Trish termine la préparation de la salle d’examen pour le premier rendez-vous du lendemain. Mina lui donne un coup de main, la salue puis quitte la clinique. Sur la route, elle a le sentiment d’avoir oublié de faire quelque chose; c’est comme si elle avait oublié d’éteindre le feu de sa cuisinière. En fait, elle ne se souvient pas avoir démarré l’autoclave. Elle se dit qu’elle s’en est probablement occupée et oublie son incertitude.
Le vendredi venu, l’horaire est bien rempli. Serena, une administratrice de clinique dentaire temporaire, remplace Marni à la réception, car celle-ci est malade. D’habitude, Marni aide le technicien en stérilisation lorsqu’il en a besoin. Vers 9 h 30, le gestionnaire de clinique remarque que la zone de stérilisation est un peu désorganisée. Réalisant que Mina et Marni sont absentes, il envisage de demander à l’une des autres assistantes ou hygiénistes dentaires d’aider le technicien. Toutefois, cela retarderait davantage l’horaire de la clinique et, dans la salle d’attente, certains des patients sont déjà anxieux. Décidé, le gestionnaire de clinique se rend à la réception et demande à Serena si elle sait comment prendre en charge une zone de stérilisation. Désireuse de l’impressionner, elle lui répond par l’affirmative. Dans la zone de stérilisation, Serena décharge l’autoclave que Mina avait préparé la veille en soirée. Elle nettoie aussi les instruments qui se sont accumulés, emballe certaines cassettes pour leur stérilisation et remet la zone en ordre.
Plus tard dans la journée, des sachets provenant du stérilisateur que Serena avait déchargé sont distribués dans les salles d’examen pour le traitement des patients recevant des soins d’hygiène et des soins dentaires.
Le mardi suivant, après son long congé, Mina retourne à la clinique. Elle arrive tôt et commence donc à réorganiser la zone de stérilisation. Elle remarque alors que certains sachets non stérilisés sont dans l’aire d’entreposage, et que ceux-ci font tous partie du lot D-152. Mina essaie de trouver les autres sachets du même lot, mais la plupart d’entre eux semble être manquants. Après avoir enquêté sur la situation, Mina découvre qu’ils ont été utilisés par deux dentistes et une hygiéniste dentaire le vendredi précédent. Tous les membres du personnel de la clinique sont abasourdis et se demandent comment une telle erreur a pu se produire. Que faire?
En cas d’incidents comme celui-ci, les membres d’équipe sont souvent réticents à admettre leur rôle actif ou passif dans l’erreur commise. Dans les lieux de travail où des incidents isolés de ce genre entraînent des mesures disciplinaires, la crainte du personnel est encore plus vive. Malheureusement, ce type de réaction fait en sorte que les erreurs sont dissimulées plutôt que mises de l’avant. Au sein d’organisations apprenantes qui favorisent une culture juste en milieu de travail, la direction doit décider si l’incident devrait faire l’objet d’une enquête ou pas. Il s’agit d’un pas dans la bonne direction, mais des enquêtes de ce type mènent trop souvent à la conclusion que la source de l’incident est une erreur humaine ou un défaut de conformité au processus établi. Mina était distraite. Serena a fait une erreur en déchargeant le stérilisateur. Les cliniciens étaient trop pressés pour confirmer que les indicateurs chimiques étaient activés. Selon ce point de vue, les systèmes sont fondamentalement sécuritaires; ce sont les personnes qui ne les respectent pas qui constituent des menaces.
Si vous étiez gestionnaire ou dentiste au sein de cette clinique, vous auriez pu demander à Mina et Serena de « déployer des efforts supplémentaires » et de « porter plus attention à leur travail ». Prenez néanmoins le temps de réfléchir à ce que vous leur auriez dit si leur décision de ne pas respecter les procédures habituelles avait entraîné des résultats positifs. Peut-être auriez-vous salué leur créativité ou auriez-vous été rassuré(e) par la résilience de votre équipe?
Pour tirer de véritables leçons des incidents (ou les prévenir), nous devons considérer l’origine des incidents sous un jour nouveau. Nous avons besoin d’apprendre à envisager les erreurs humaines pour ce qu’elles sont en général : les conséquences de problèmes sous-jacents d’une organisation; en outre, nous devons avoir le courage de changer ainsi notre optique¹. Si nous acceptons cette idée, qui a été d’ailleurs confirmée par de nombreuses recherches portant sur diverses industries où la sécurité est un facteur déterminant, il devient alors évident que le fait d’établir qu’un accident est la conséquence d’une erreur humaine n’est pas la conclusion d’une enquête, mais plutôt son point de départ.
Pour adopter une nouvelle manière de penser à l’erreur humaine, vous devez comprendre que nous ne qualifions une situation d’erreur humaine qu’après avoir pris du recul pour y réfléchir. Si nous nous mettions à la place de la personne fautive, nous pourrions constater que ses actions lui semblaient sensées à priori. Par conséquent, pour comprendre les accidents et en tirer des leçons, il faut faire preuve d’empathie. Il faut comprendre comment et pourquoi l’action adoptée semblait appropriée au moment de sa survenue, et brosser un tableau clair et précis de la situation telle qu’elle s’est réellement produite. Par exemple, lorsque Serena a indiqué savoir comment prendre en charge la zone de stérilisation, a-t-elle été récompensée pour la confiance qu’elle a démontrée?
En ce qui concerne l’examen des incidents, notre nouvelle approche reconnaît qu’il arrive souvent qu’une personne doive respecter des échéanciers serrés, et ce, en disposant de ressources limitées. De plus, elle doit concilier des objectifs concurrents, comme l’efficacité clinique, la productivité et la sécurité. Cette façon de penser tient compte du fait que les systèmes ne sont pas fondamentalement sécuritaires; plutôt, les actrices et acteurs du système doivent travailler ensemble sur une base quotidienne pour assurer la sécurité des systèmes. Lorsque nous adoptons une culture de sécurité, les membres de notre personnel sont pour nous des alliés et non des « facteurs » de risque.
Bien que l’on puisse comprendre les avantages et la transparence de cette nouvelle façon d’envisager l’erreur, l’accepter peut être difficile. Il est facile de dire qu’une employée ou un employé a fait une erreur. Cependant, il est plus ardu de mener une enquête sur la façon dont les normes et les cultures ont pu contribuer à cette erreur, et d’y réfléchir. Adapter notre approche face à l’erreur nécessite beaucoup de temps ainsi que l’engagement des membres d’équipe. Toutefois, nous pouvons commencer dès maintenant à faire preuve d’empathie. Ainsi, la prochaine fois qu’une erreur se produit, mettez-vous à la place de la personne qui l’a commise. Essayez de comprendre comment son choix a pu paraître raisonné à ses yeux dans le feu de l’action. Si vous avez le courage d’essayer cet exercice, vous ferez davantage d’apprentissages que si vous attribuez l’origine d’un problème à une erreur humaine. De plus, vous serez en mesure de trouver des solutions efficaces à des problèmes complexes.