Julian Perez, J.D., chef des affaires juridiques, dentalcorp; Michelle Budd, DCD, consultante en sécurité des patients, dentalcorp
Le cancer de la bouche et du pharynx, également connu sous le nom de cancer de la tête et du cou, pose un important (même si sous-estimé) problème de santé publique à l’échelle mondiale. En effet, plus de 50 000 personnes nord américaines reçoivent un diagnostic de cancer chaque année (1). Le rapport Statistiques canadiennes sur le cancer 2019 indique que 5 300 Canadiennes et Canadiens ont reçu un diagnostic de cancer de la bouche (3 700 hommes et 1 600 femmes), dont 1 480 sont morts (1 050 hommes et 430 femmes) (1). Environ trois Canadiennes et Canadiens meurent du cancer de la bouche chaque année, avec l’Ontario étant le plus touché par l’incidence du cancer de la bouche et la prévalence des décès qui y sont liés (1).
Bien sûr, « le diagnostic précoce du cancer de la bouche par dépistage et détection précoce est essentiel »1. Toutefois, il n’est peut-être plus suffisant pour les dentistes et les fournisseurs de soins de santé de se concentrer sur la détection. Selon la Société canadienne du cancer, on estime qu’en 2022 :
- 7 500 Canadiennes et Canadiens recevront un diagnostic de cancer de la tête et du cou.
- 2 100 Canadiennes et Canadiens mourront du cancer de la tête et du cou.
- 5 400 hommes Canadiens recevront un diagnostic de cancer de la tête et du cou et 1 500 d’entre eux en mourront.
- 2 000 femmes Canadiennes recevront un diagnostic de cancer de la tête et du cou et 560 d’entre elles en mourront.
Le VPH et le cancer de l’oropharynx
Selon l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC), jusqu’à 35 % des cancers de la bouche et de la gorge (un ensemble plus large de cancers, qui comprend le cancer de la bouche et du pharynx) sont liés à une infection précédente au virus du papillome humain (VPH). Malheureusement, ce nombre augmente rapidement avec le temps (3). Le taux d’incidence du cancer de l’oropharynx associé au VPH est à peu près cinq fois plus élevé chez les hommes que chez les femmes (2,4) et est observé la plupart du temps chez les personnes âgées de 40 à 59 ans. Au cours des dernières décennies, le taux d’incidence du cancer de l’oropharynx a dépassé celui du cancer du col de l’utérus étant désormais considéré comme la forme de cancer associé au VPH le plus fréquent avec des taux qui ont presque doublé (5,6). Historiquement, les principaux facteurs de risque des cancers de l’oropharynx étaient la consommation de tabac et d’alcool (4). Toutefois, des études récentes montrent désormais qu’environ 70 % des cas sont associés au VPH (7,8).
En parlant du VPH et d’autres infections transmissibles sexuellement (ITS), leur incidence sur la santé bucco-dentaire n’est pas généralement une question primordiale. Le VPH est très courant et très contagieux : plus de 70 % des Canadiennes et des Canadiens sexuellement actifs seront atteints d’une infection au VPH à un moment ou un autre de leur vie (9). Alors que la plupart des personnes contracteront ce virus au niveau de leurs organes génitaux, elles peuvent également le contracter au niveau de la bouche et de la gorge (10). C’est dans ce cas que l’on trouve une lacune importante dans la résolution du problème de la recrudescence du cancer de l’oropharynx associé au VPH, et il est extrêmement important d’envisager une approche interprofessionnelle qui comprend des professionnels des soins bucco-dentaires en matière de prévention du cancer (p. ex. la vaccination). En raison de l’augmentation du nombre de cas de cancers de l’oropharynx associés au VPH, il pourrait y avoir des répercussions considérables sur le système et les ressources de santé du Canada si ce problème n’est pas adéquatement résolu (11).
La prévention en opposition à la détection et le vaccin contre le VPH
Il n’existe actuellement aucun programme de dépistage de routine des cancers de la tête et du cou en Ontario. Même si ce programme existait, « 14,5 % des Canadiennes et des Canadiens ont déclaré ne pas avoir un fournisseur de soins de santé régulier qu’ils consultent lorsqu’ils ont besoin de soins ou de conseils sur leur santé ».4 De plus, une portion considérable de Canadiennes et de Canadiens consultent leur fournisseur de soins bucco-dentaires plus souvent qu’ils ne consultent leur médecin de premier recours. (12,13) Ainsi, la détection précoce de ces cancers devient, en grande partie, la responsabilité des fournisseurs de soins dentaires lors des examens de routine de la patientèle. Il s’agit d’un rôle très important pour les fournisseurs de soins dentaires. Il existe des données qui indiquent que la détection précoce des lésions précancéreuses à un stade très précoce peut améliorer considérablement le taux de survie et la qualité de vie des patientes et des patients atteints du cancer de la bouche (1). Toutefois, les mesures de prévention possibles sont de loin préférables à tous les égards.
Bien que les fournisseurs de soins dentaires vérifient activement si leurs patientes et patients sont atteints d’un cancer de la bouche, les discussions sur les facteurs de risque et la prévention ne sont peut-être pas aussi nombreuses qu’elles devraient l’être. Les facteurs de risque tels que le tabagisme et la consommation d’alcool font déjà l’objet de discussions, car de nombreux formulaires d’antécédents médicaux posent des questions sur ces derniers. Mais la plupart des dentistes ne posent pas de questions sur d’autres facteurs de risque importants du cancer de l’oropharynx, comme les infections au VPH et leurs causes connues. Bien que les dentistes peuvent ne pas se sentir à l’aise d’avoir ces discussions, il a été démontré que plus les dentistes sont informés à propos du VPH, plus ils sont à l’aise d’en parler et d’offrir des recommandations préventives à leur patientèle (14).
Les récents changements réglementaires obligent les professionnels de soins bucco-dentaires à reconsidérer leur rôle dans la prévention du cancer de l’oropharynx. En effet, en avril 2022, Santé Canada a approuvé une indication élargie de certains vaccins contre le VPH pour prévenir non seulement le cancer du col de l’utérus, mais aussi le cancer de l’oropharynx et d’autres cancers de la tête et du cou4.
Les défis peuvent et doivent être surmontés
En Ontario, le champ d’activité des dentistes comprend « le traitement et la prévention des maladies, troubles ou dysfonctions du complexe oro-facial ». En vertu de la Loi de 1991 sur les dentistes, les dentistes sont autorisés à accomplir l’acte autorisé d’« [administrer] des substances par voie d’injection ou d’inhalation ». On pourrait donc soutenir que l’administration de vaccins pour prévenir le cancer de la tête et du cou entre dans le champ d’application de la dentisterie en Ontario. En fait, on pourrait dire la même chose de la pratique de la dentisterie dans la plupart des provinces, car les dentistes sont universellement chargés de prévenir les maladies du complexe oro-facial et ont le droit d’administrer des substances par voie d’injection. Pourtant, en Ontario, il n’est pas certain que les dentistes aient le pouvoir légal d’administrer des vaccins. Sans une déclaration claire de l’organisme de réglementation provinciale reconnaissant la vaccination comme inhérente à la pratique de la dentisterie, il est peu probable qu’un nombre significatif de dentistes ajoute cette activité aux services qu’ils offrent et promotionnent. Par conséquent, l’administration de vaccins n’est pas un acte auquel les dentistes ou les patientes et les patients s’attendent lors d’un rendez-vous de routine. Ainsi, bien que les dentistes soient chargés de fournir des soins de santé bucco-dentaire, la responsabilité de l’administration des vaccins qui peuvent prévenir le cancer de la bouche a été laissée aux médecins et aux infirmières et infirmiers. En toute logique, il est possible que l’administration de vaccins contre le VPH dans les cliniques dentaires contribue à augmenter les taux de vaccination et, par conséquent, à réduire les taux de morbidité et de mortalité du cancer de l’oropharynx (15).
Un autre obstacle possible à la participation des dentistes aux discussions sur le VPH et le cancer de l’oropharynx avec leur patientes et patients est que, même si ces derniers comprennent les risques et souhaitent se faire vacciner contre le VPH, les prochaines étapes que peuvent entreprendre les fournisseurs de soins dentaires sont limitées. Puisque selon la perception répandue, les dentistes ne peuvent pas fournir le vaccin, ils ratent cette occasion. La patiente ou le patient doit donc chercher un fournisseur de soins médicaux et prendre un autre rendez-vous. Combien de fois oubliera-t-on cet aspect? Si les dentistes pouvaient fournir le vaccin et planifier la deuxième dose, cela aurait très probablement une incidence positive sur le nombre de personnes qui reçoivent le vaccin contre le VPH au bout du compte.
Enfin, des questions de logistique peuvent se poser, notamment sur la capacité d’accéder au dossier médical électronique (DME) et au statut vaccinal de la patientèle, et de les mettre à jour, ainsi que sur les considérations relatives aux frais de l’administration des vaccins et à leur remboursement dans le cadre de la pratique dentaire. En effet, la plupart des dentistes ne peuvent pas accéder aux dossiers médicaux ni facturer de traitements à l’Assurance-santé de l’Ontario comme d’autres professionnels de la santé. Il s’agit d’une question qui devrait être abordée, car elle permettrait aux dentistes de fournir des services liés à leur rôle dans la prise en charge du complexe oro-facial, services qui seraient couverts par le régime de santé provincial des patientes et des patients.
La prise de mesures dans votre clinique et ailleurs
Malgré l’innocuité et l’efficacité prouvées des vaccins contre le VPH, les taux de vaccination sont insuffisants, ce qui peut être lié au caractère incohérent ou vague de la recommandation des fournisseurs de soins. La recommandation du fournisseur de soins s’est avérée être un prédicteur important de la vaccination contre le VPH (16). L’American Dental Association déclare que les fournisseurs de soins dentaires doivent préconiser et recommander fortement et clairement le vaccin contre le VPH en plus de soumettre toutes les patientes et tous les patients au dépistage du cancer de la bouche (17). Le simple fait que les dentistes recommandent le vaccin contre le VPH peut avoir pour effet d’éduquer davantage la population et de prévenir indirectement certains cancers. Toujours est-il que le fait de permettre aux dentistes de fournir les vaccins contre le VPH entraînera sans aucun doute des taux de vaccination encore plus élevés et, en fin de compte, sauvera des vies.
Voici ce que peuvent faire les fournisseurs de soins dentaires présentement pour contribuer à résoudre ce problème important (18) :
Se tenir au courant des données probantes relatives à l’infection par le VPH et aux cancers de la bouche;
Effectuer un dépistage du cancer de la tête et du cou (y compris de l’oropharynx) lors des examens dentaires réguliers;
Reconnaître les signes et les symptômes à un stade précoce et surveiller toute lésion anormale ou suspecte;
Explorer la possibilité de recueillir des échantillons dans la clinique dentaire (au moyen de rince-bouche ou d’écouvillons) pour la détection du VPH;
Vous engager, votre équipe et vous, à expliquer à la patientèle les liens entre le VPH et le cancer de la bouche;
Communiquer des renseignements fondés sur des données probantes au sujet des facteurs de risque (comme le tabagisme) et les modes de transmission (comme certains comportements et pratiques sexuels) connus;
Promouvoir le vaccin contre le VPH comme un moyen sûr et efficace de prévenir l’infection et orienter la patientèle vers les services appropriés au besoin;
Plaider auprès de votre organisme de réglementation provincial qu’il indique clairement si les dentistes peuvent et doivent administrer les vaccins contre le VPH dans leur clinique si cela ne fait pas actuellement partie de la norme de soins de votre province.
Article original publié en anglais dans le journal Oral Health.
1. Oral Cavity and Oropharyngeal Cancer Surveillance and Control in Alberta: A Scoping Review Parvaneh Badri, DDS, MSc; Seema Ganatra, DDS, MSD, FRCD(C); Vickie Baracos, PhD; Hollis Lai, PhD; Maryam Amin, DMD, MSc, PhD Cite this as: J Can Dent Assoc 2021;87:l4
2. GARDASIL® 9 Product Monograph. Merck & Co. Inc. Updated April 6, 2022
3. https://www.cmaj.ca/content/189/32/E1030
4. https://cancer.ca/en/cancer-information/cancer-types/oropharyngeal/risks
5. Van Dyne EA, Henley SJ, Saraiya M, Thomas CC, Markowitz LE, Benard VB. Trends in human papillomavirusassociated cancers – United States, 1999–2015. MMWR Morb Mortal Wkly. 2018;67(33):918–24. PMID: 30138307. doi:10.1 5585/mmwr.mm6733a2
6. National Cancer Institute. Head and neck cancers. Bethesda (MD): U.S. Department of Health and Human Services; 2021 May 15 [accessed 2021 Jul 18]. https://www.cancer.gov/types/head-andneck/head-neck-fact-sheet .
7. Centers for Disease Control and Prevention. HPV and cancer. Atlanta (GA): United States Department of Health and Human Services; 2020 Sep 3 . https://www.cdc.gov/ cancer/hpv/statistics/index.htm .
8. Chaturvedi AK, Engels EA, Pfeiffer RM, Hernandez BY, Xiao W, Kim E, Jiang B, Goodman MT, Sibug-Saber M, Cozen W, et al. Human papillomavirus and rising oropharyngeal cancer incidence in the United States. J Clin Oncol. 2011;29(32):4294–301. PMID: 21969503. doi:10.1200/JCO.2011.36.4596.
9. Public Health Agency of Canada. Sexual Health and Sexually Transmitted Infections: Human Papillomavirus (HPV). Ottawa (ON): PHAC; 2020 (accessed 2020-06-11). https://www. canada.ca/en/public-health/services/infectious-diseases/ sexual-health-sexually-transmitted-infections/ human-papillomavirus-hpv.html
10. Canadian Cancer Society. HPV and Cancer. 2020 (accessed 2020-06-11). https://www.cancer.ca/en/prevention-andscreening/reduce-cancer-risk/make-informed-decisions/ get-vaccinated/hpv-and-cancer/?region=on
11. Canadian Cancer Society’s Advisory Committee on Cancer Statistics. Canadian Cancer Statistics 2016. Special Topic: HPV-Associated cancers. Toronto (ON): Canadian Cancer Society; 2016. https://www.cancer.ca/en/cancer-information/ cancer-101/canadian-cancer-statistics/?region=on
12. https://www.cda-adc.ca/stateoforalhealth/snap/#:~:text=The%20results%20showed%20that%2075,dentist%20on%20an%20annual%20basis.
13. https://www.statista.com/statistics/891832/doctors-visits-among-canadians/#:~:text=This%20statistic%20depicts%20the%20percentage,times%20per%20year%20or%20more.
14. Oral health care professionals recommending and administering the HPV vaccine: Understanding the strengths and assessing the barriers. Denise Guadiana, Nolan M. Kavanagh, Cristiane H. Squarize
15. Kwan-Ho Yu J. ADA News- My View: Could vaccines come from your dentist? Not yet. Oct 21, 2019. https://www.ada.org/en/publications/ada-news/viewpoint/ my-view/2019/october/my-view-could-vaccines-come-fro m-your-dentist-not-yet
16. Gilkey MB, Calo WA, Moss JL, Shah PD, Marciniak MW, Brewer NT. Provider communication and HPV vaccination: the impact of recommendation quality. Vaccine. 2016;34(9):1187–92. PMID: 26812078. doi:10.1016/j.vaccine.2016.01.023.
17. American Dental Association Center for Evidence-Based Dentistry. Cancer prevention through HPV vaccination: an action guide for dental health providers. Chicago (IL): American Dental Association; 2018 Feb [accessed 2021 Jul 01]. https://ebd.ada. org/~/media/EBD/Files/DENTAL-Action-Guide-WEB_ADA.pdf? la=en .
18. Human papillomavirus and oral health Office of the Chief Dental Officer of Canada. CCDR. November 5, 2020 • Vol. 46 No. 11/12
À propos des auteurs
Julian Perez est chef des affaires juridiques chez dentalcorp, où il supervise les affaires juridiques, la conformité réglementaire, la gouvernance d’entreprise et les risques d’entreprise afin d’aider les cliniques à fournir des soins optimaux aux patients. Il a obtenu un baccalauréat à l’Université Yale et un doctorat en jurisprudence à la faculté de droit de l’Université Columbia.
Michelle Budd travaille avec l’équipe de gestion du risque et de la conformité de dentalcorp à titre de consultante en sécurité des patients. Elle est titulaire d’une maîtrise en santé publique, qu’elle a obtenue après son doctorat en chirurgie dentaire de l’Université Western. Michelle a voyagé aux quatre coins du Canada afin d’aider les cliniques dentaires à être et à rester conformes aux normes professionnelles.